Marxisme et Relations Internationales
Ancrée, comme son nom l’indique, dans la continuation des thèses de Karl Marx, la théorie dite « marxiste » en Relations Internationales ne peut être appréhendée comme une théorie spécifique de ce champ d’étude. En effet, bien que celle-ci s’adapte à l’interprétation des phénomènes internationaux, cette théorie découle en réalité d’une réflexion plus globale sur les relations de pouvoir dont Marx fut l’initiateur. Reprenant pour compte la pensée du philosophe allemand, les théoriciens marxistes se distinguèrent des autres courants théoriques des Relations Internationales par leur volonté normative de bouleverser les principes de fonctionnement du monde basés selon eux sur l’exploitation de l’homme par l’homme.
Cependant, pour comprendre les apports de la théorie marxiste à la discipline des Relations Internationales, il convient de rappeler brièvement les fondements de la pensée de Marx lui-même. S’intéressant à l’évolution des sociétés humaines, Marx remarque que celle-ci a toujours été marquée par une opposition entre oppresseurs et opprimés, qu’il s’agisse des sociétés esclavagistes, féodales ou capitalistes : « L’histoire de toute société jusqu’à nos jours est l’histoire de luttes de classes »1. Il considère ainsi que cette division de la société en classes est le fruit d’une répartition inégale des moyens de production dans lequel il perçoit également le moteur de l’histoire. Dans la société capitaliste, qui est la dernière à avoir émergé, c’est le prolétariat disposant uniquement de sa force de travail qui constitue la classe des opprimés, alors que la classe des oppresseurs se compose d’une minorité dite « bourgeoise » détentrice du capital. Pour Marx, cette situation est liée à l’existence de la propriété privée, qui ne peut perdurer indéfiniment à cause du cercle vicieux qu’elle entraine. L’unique objectif des capitalistes étant effectivement d’accumuler un maximum de profit, ceux-ci sont obligés de recourir au progrès technique pour accroitre la production à moindre frais. L’utilisation de machines venant petit à petit se substituer à la force des travailleurs, il en résulte une croissance du chômage menant à l’appauvrissement de la population. Cette augmentation de la production étant dès lors corrélée à une diminution de la consommation, le capitalisme ne peut aboutir qu’à des crises de surproduction qui s’achèveront par l’autodestruction du système et son remplacement par le communisme, société collectiviste et égalitaire dans laquelle ne subsiste ni classe, ni Etat. Or, pour que l’avènement du communisme se produise, il est indispensable de parvenir à la révolution du prolétariat en lui faisant prendre conscience de cette situation de domination.
Malgré son soutien à une révolution mondiale capable de transcender les frontières « bourgeoises », comme l’indique son fameux « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! »2, l’analyse de Marx de la politique mondiale fut en réalité très limitée. La contribution la plus importante du marxisme en matière de relations internationales revient en effet à Vladimir Ilitch Oulianov, plus connu sous le nom de Lénine, qui fut le premier à regrouper les réflexions de divers penseurs marxistes (Rudolf Hilferding, Rosa Luxembourg ou Nicolaï Boukharine notamment) pour théoriser le lien entre capitalisme global et conflits au sein du système international, ou plutôt entre Etats capitalistes. Dans un ouvrage au titre révélateur, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme (1917), il constate que la concentration du capital due à la course au profit mène inévitablement à l’impérialisme, c’est-à-dire à une politique mise en place par les Etats capitalistes visant à accroitre leur domination sur les autres Etats non capitalistes. La conséquence de cet impérialisme est l’apparition de frictions et parfois de conflits entre grandes puissances capitalistes qui, parce qu’elles recherchent de nouveaux débouchés pour leurs produits, s’affrontent pour le contrôle des territoires, et tout particulièrement des colonies. Dans cette perspective, seule la disparition du capitalisme et l’avènement du communisme permettront de faire disparaître le phénomène de la guerre, perçue comme une expression de la culture bourgeoise.
La théorie léniniste de l’impérialisme eu un important retentissement dans le monde socialiste, influençant au moins jusqu’à la fin de la guerre froide, de nombreux universitaires et politiciens, qui s’appuyèrent sur cette pensée pour justifier leur politique étrangère (lutte pour l’indépendance des colonies par exemple). Cette théorie sera également alimentée par l’émergence de nouvelles réflexions au lendemain de la seconde guerre mondiale, notamment la théorie de la dépendance faisant de l’impérialisme la cause du sous-développement des pays du Tiers-monde. Le sociologue américain Immanuel Wallerstein apportera lui aussi sa pierre à l’édifice marxiste par l’intermédiaire de son concept de « système-monde » décrivant une division du monde en trois zones fondée sur l’inégalité des rapports économiques : un centre développé exploitant une semi-périphérie et une périphérie d’Etats sous-développés. Mais le marxisme, malgré l’apport de nombreux théoriciens restera très critiqué pour son réductionnisme et son déterminisme faisant de l’aspect économique, l’unique facteur de toute relation sociale et donc de tout conflit. Finalement, l’idéologie marxiste ne put résister aux échecs du bloc soviétique et finit par perdre une bonne part de son influence avec l’effritement de l’idéologie communiste au début des années 1990.
[1] Karl MARX, Manifeste du parti communiste, 1848, Les classiques des sciences sociales (UQAC), p. 6.
[2] Karl MARX, Manifeste du parti communiste, 1848, Les classiques des sciences sociales (UQAC), p. 3